Cérémonie de signature officielle – 18 juillet 2017
L’entente sur la gouvernance de la Nation Crie (Entente sur la gouvernance) découle de l’Entente concernant une nouvelle relation entre le Gouvernement du Canada et les Cris d’Eeyou Istchee de 2008, qui établit un processus de négociations menant à une Entente sur la gouvernance de la Nation Crie et une Constitution crie. Ces négociations se sont terminées au cours de l’automne 2016 et ont été suivies de vastes consultations avec les bénéficiaires cris, les Premières Nations cries et d’autres parties cries d’Eeyou Istchee.
L’Entente sur la gouvernance et la Constitution crie ont été approuvées formellement par résolution de chacune des Premières Nations cries et par le Gouvernement de la Nation Crie. Le Canada a aussi approuvé l’Entente sur la gouvernance et autorisé sa signature. Après la signature, l’Entente prendra effet au moment où la législation fédérale prévoyant son implantation entrera en vigueur.
Notes pour une allocution du Grand Chef Dr Matthew Coon Come pour la cérémonie de signature de l’Entente par le Grand Conseil des Cris (Eeyou Istchee)/Gouvernement de la Nation Crie avec le Gouvernement du Canada. 18 juillet 2017
Madame la ministre Bennett, Monsieur le député fédéral Roméo Saganash, Anciens Grands Chefs Ted Moses et Matthew Mukash, Chefs cris, membres du Conseil/Bureau de direction, aînés, femmes et jeunes, distingués invités et amis, je suis très heureux et fier d’être avec vous aujourd’hui pour la signature de l’Entente sur la gouvernance de la Nation Crie entre la Nation Crie d’Eeyou Istchee et le Gouvernement du Canada.
Au nom de la Nation Crie, je tiens à saluer la Nation Algonquine, sur le territoire non cédé de laquelle nous nous rencontrons aujourd’hui pour cette cérémonie de signature.
Permettez-moi également de remercier l’Aîné cri et ancien Chef Philip Awashish de Mistissini pour sa présence ici aujourd’hui. À titre de signataire et de négociateur de notre traité, la Convention de la Baie James et du Nord québécois, vous servez de gardien des valeurs et des principes qui y sont incarnés. Vous avez contribué à faire en sorte que l’Entente sur la gouvernance de la Nation Crie demeure fidèle à la vision du regretté Grand Chef Dr Billy Diamond et des autres leaders cris.
Quelle était cette vision? Elle en a toujours été une d’autonomie gouvernementale et d’autodétermination. C’est cette vision qui continue de nous guider aujourd’hui. Aussi, comment l’Entente sur la gouvernance et son pendant, la Constitution crie, font-ils progresser cette vision?
Tout d’abord, elles rattachent la gouvernance sur nos terres de catégorie IA, là où elle appartient, c’est-à-dire chez nous, les Premières Nations cries et le Gouvernement de la Nation Crie. Elles retirent cette gouvernance d’un statut fédéral, la Loi sur les Cris et les Naskapis (du Québec), et la transfère dans l’Entente sur la gouvernance et dans la Constitution crie.
Deuxièmement, l’Entente sur la gouvernance et la Constitution crie font disparaître la supervision fédérale sur les terres cries de catégorie IA. Plus jamais nous allons adopter des règlements, mais bien des lois comme tout gouvernement normal. Plus jamais nous allons soumettre nos lois au Ministre pour examen et approbation. Ce sera à nous, et à nous seuls, de décider quelles sont les lois qui nous gouvernent. À titre de gouvernement mature, c’est une responsabilité que nous sommes plus que prêts à assumer.
Troisièmement, nos règles de gouvernance interne ont été retirées de la Loi sur les Cris et les Naskapis (du Québec) pour être intégrées dans la Constitution crie. Notre Constitution établit un cadre fondamental des valeurs et procédures cries qui vont continuer d’évoluer afin d’incorporer des formes distinctives de gouvernance crie. Cela constitue un développement essentiel, car notre Constitution n’est pas sujette au consentement ou à l’approbation du Canada ou du Québec. C’est un document cri purement interne, un document que nous pouvons amender nous-mêmes, seuls.
Quatrièmement, l’Entente sur la gouvernance apportera aux Premières Nations Cries une stabilité et une sécurité combien nécessaires, car elle définit les arrangements financiers avec le Canada concernant la gouvernance des terres de catégorie IA depuis maintenant jusqu’en 2040. Avec cette prévisibilité, les Premières Nations Cries peuvent, pour la première fois, planifier à long terme.
Ce jour a été long à venir. Les négociations ont débuté il y a huit ans, en 2009. Il y a eu plein de tours et de détours en cours de route – des obstacles à surmonter, des différences à résoudre, des ententes à forger, des ponts à bâtir. Cette entente est la réconciliation en action. Et voici que nous sommes enfin à la fin d’un cheminement et au début d’un autre.
Il y a quelques mois, Thomas Coon, un Aîné cri de Mistissini, a été interviewé à propos de l’Entente de gouvernance et de la Constitution crie. Thomas ne peut être avec nous aujourd’hui, mais ses mots, traduits de la langue crie, valent la peine d’être répétés :
« Maintenant nous suivons ce que les gens de notre peuple ont fait dans le passé. Ils étaient indépendants. Ils pensaient pour eux-mêmes quand ils étaient sur le territoire. Avec l’élaboration de la Constitution et de l’autonomie gouvernementale, c’est comme si nous étions sur un sentier. C’est un voyage. Imaginez un chasseur traversant un grand lac. Le chasseur veut rejoindre l’autre côté du lac. C’est comme nous qui tentons de gagner cette confiance en soi. Nous sommes ici à mi-parcours. Il y a encore pas mal de distance à parcourir pour atteindre l’autre rive. »
Les paroles de Thomas Coon font écho à la vision fondatrice des signataires cris de notre traité, la Convention de la Baie James et du Nord québécois, signé en 1975 avec le Canada et le Québec. Les Cris ont toujours perçus notre traité comme une émancipation de la Loi sur les Indiens. Mais, plus que ça, nous avons vu le traité comme un moyen de récupérer l’autogouvernement cri et l’autonomie à Eeyou Istchee.
Depuis la Convention de la Baie James, les Cris d’Eeyou Istchee ont signé environ 80 ententes majeures avec le Canada, le Québec et l’industrie. Ces ententes incluent des jalons tels que la Paix des Braves, conclue par le Grand Chef Ted Moses avec le Québec en 2002, l’Entente concernant une nouvelle relation, conclue par le Grand Chef Matthew Mukash avec le Canada en 2008 et l’Entente sur la gouvernance Cris-Québec, que j’ai eu l’honneur de signer en 2012 avec le premier ministre du Québec Jean Charest.
Quelle histoire ces ententes nous racontent-elles? D’une part, elles nous racontent la longue lutte des Cris pour faire de notre vision de l’autonomie gouvernementale et de l’autodétermination une réalité. Nous n’avons jamais renoncé à ces droits. Nous sommes toujours demeurés fidèles à la vision de nos mères et de nos pères fondateurs. Aujourd’hui, je pense qu’ils seraient heureux de voir ce que la Nation Crie a accompli.
Ces ententes sont aussi des jalons sur la voie d’une nouvelle relation de nation à nation entre les Cris et le Canada et le Québec, basée sur le respect mutuel en tant que partenaires égaux. Ceci est la seule base possible pour une vraie réconciliation. L’Entente sur la gouvernance que nous signons aujourd’hui avec le Canada marque une autre étape importante vers la réconciliation.
Comment les Cris sont-ils parvenus si loin? L’héritage qui nous a été laissé par nos aînés compte pour beaucoup dans l’explication. Ils nous ont donné une vision ferme et partagée pour nous guider. Ils nous ont enseigné l’importance de la stabilité : depuis la Convention de la Baie James il y a plus de 40 ans, nous n’avons eu que quatre Grands Chefs. Ceux-ci nous ont enseigné l’humilité d’adopter une approche pragmatique, progressive : nous ne demandons pas la perfection; nous adoptons des solutions qui fonctionnent dans l’ici et le maintenant. Nous bâtissons notre gouvernance de la même façon que nous édifions une maison, étape par étape. Ils nous ont enseigné l’intégrité : nous faisons ce que nous disons, et ainsi nous bâtissons la confiance avec nos partenaires.
Et finalement, ils nous ont enseigné la force et la détermination nées de l’épreuve. Les Cris ne sont pas étrangers aux épreuves. Nos parents et nos grands-parents ont connu la faim et même la famine. La vie sur la terre a sa part de beauté, mais elle n’est pas facile. Elle demande du courage, de la confiance en soi et de la résilience. De nombreux Cris ici aujourd’hui savent cela d’expérience. Comme moi, nombre d’entre nous sont nés dans la brousse. Et, comme moi, nombre d’entre nous ont été retirés enfants de nos familles pour être placés dans des écoles résidentielles. Ce fut une expérience pénible qui a marqué ceux d’entre nous qui sommes passés au travers. Mais, comme nous le disons parfois, si cela ne vous a pas écrasés, cela vous a rendus plus forts.
Bien, nous sommes ici pour dire que les Cris ne sont pas écrasés. Loin de là. Nous avons dépassé le stade de la victimisation et nous sommes plus forts que jamais. Nous sommes en train de bâtir notre nation avec confiance et l’Entente sur la gouvernance que nous signons aujourd’hui ajoute à sa force.
Dans moins d’une semaine, il y aura un nouveau Grand Chef des Cris d’Eeyou Istchee. Après bientôt 40 ans, j’ai décidé avec mon épouse Mary Anne et mes enfants qu’il était temps de prendre du recul par rapport à la vie publique active.
J’ai été privilégié de mener les Cris à travers certains des plus importants défis de notre temps. Ceux-ci incluent les campagnes pour faire cesser la destruction de notre environnement dans Eeyou Istchee, depuis le projet hydroélectrique de la Grande Rivière de la Baleine à la surexploitation de la forêt; d’empêcher le développement dangereux de l’uranium; de créer de nouvelles aires environnementales protégées; d’établir la Commission d’enquête au Québec pour prévenir la discrimination contre la population autochtone; et, avec l’Entente sur la gouvernance d’aujourd’hui, de mettre en place la dernière composante majeure d’un gouvernement autonome cri.
Aussi, il convient que la signature de cette Entente sur la gouvernance marque la fin de mon temps comme Grand Chef. Au cours des derniers mois, je me suis rendu dans chaque communauté crie pour faire part de ce que cette Entente sur la gouvernance et la Constitution crie signifiaient pour nous. Dans chaque communauté, les femmes et les hommes cris, les jeunes et les aînés, ont fait connaître leurs questions, leurs préoccupations et leurs espoirs. Ce fut profondément émouvant de partager cette expérience avec eux. Je ne peux pas imaginer un meilleur moyen de mettre fin à mon mandat comme Grand Chef.
J’ai cité Thomas Coon plus tôt, aussi laissez-moi terminer en le faisant à nouveau. Thomas nous rappelle qu’avec cette Entente sur la gouvernance et la Constitution crie, nous avons jeté les bases de la gouvernance de la Nation Crie. Mais il appartient aux prochaines générations de continuer de bâtir la « maison » de la gouvernance. Je ne dis pas : « Finissez le travail » – ce sera toujours un travail en cours. Ceux qui nous suivent porteront la gouvernance crie et l’édification de la Nation crie au prochain niveau.
À tous les Cris qui m’ont accordé votre confiance et votre appui et qui m’ont communiqué votre courage et votre force à travers les difficultés si nombreuses pendant tant d’années, incluant ce dernier chapitre de l’Entente sur la gouvernance, ce fut un privilège de vous servir. Je vous remercie de tout mon cœur.
Meegwetch!
Commentaires d’Abel Bosum sur l’Entente sur la gouvernance crie proposée
J’aimerais amorcer mes commentaires à propos de l’Entente sur la gouvernance qui nous a été présentée en vous faisant part d’un bref souvenir concernant l’un des membres décédés d’Oujé-Bougoumou.
Un des principaux maîtres de piégeage de la région du lac Chibougamau était un chasseur et un trappeur très respecté et hautement considéré du nom de Philix Couchees. Philix n’était pas seulement un maître de piégeage, mais aussi un « leader » très respecté. Il était un leader dans le sens très traditionnel du terme et tel que ce mot est compris en cri. Il était un Endoohoo auchimaw. Il faisait preuve d’un grand respect pour toute personne qu’il rencontrait, il partageait généreusement et il était digne de confiance et honnête, il partageait son territoire de chasse avec tout le people d’Oujé-Bougoumou et avec d’autres chasseurs cris et innus autour de lui.
Il était actif, et un chasseur talentueux à une époque où la population non autochtone commençait à envahir notre territoire traditionnel pour y installer des camps miniers, des camps forestiers et éventuellement les municipalités de Chibougamau et Chapais. Durant cette période de l’histoire, nous étions considérés comme des « sauvages », nous étions perçus comme étant dans le chemin du développement des ressources qui croissait de jour en jour. Nous observions alors que nos terres et l’environnement étaient détruits par le développement des ressources et nous, mis de côté. Nous étions vus comme des squatteurs sur nos propres terres qui n’avaient aucun droit, aucun rôle à jouer dans le développement de notre territoire et des ressources sur nos terres; les enfants eenous étaient envoyés dans des écoles résidentielles et nos foyers et nos villages étaient passés au bulldozer pour faire place à plus de développement.
Très tristement, et de façon très tragique, au milieu de la soixantaine, Philix Couchees est décédé quand il a été frappé par un camion utilisé dans l’une des mines de notre territoire. Il n’y a pas eu d’investigation, pas d’enquête et aucune poursuite n’a été engagée contre quiconque. Ce fut comme si c’était sans intérêt qu’une personne crie ait été tuée. C’était juste un autre Indien.
J’ai souvent pensé qu’il y avait quelque chose de très symbolique dans la façon dont Philix était décédé. C’était une expression très forte et très claire de ce qui arrivait à notre peuple. C’était comme si notre mode de vie, notre culture et nos traditions cries étaient oblitérés par le développement des ressources qui prenait possession de la région. C’était comme si Philix représentait tout ce qu’était notre tradition crie – l’importance du rapport avec la terre, l’importance du savoir acquis en grandissant sur le territoire, et les valeurs qui étaient issues de la vie sur le territoire. Tout cela semblait tué d’un seul coup quand Philix a été frappé par le camion qui transportait les ressources à l’extérieur de notre territoire. Et il n’y avait pas de conséquences, pas d’excuses, pas de regrets.
Et dans un certain sens très profond, c’est réellement de là que provient notre Nation Crie. Au moment où le Québec annonçait son intention de développer le Projet hydroélectrique de la Baie James – un projet qui à l’époque était le plus important projet hydroélectrique dans le monde – nous, le peuple cri, nous étions perçus comme en travers de la route. Nous étions considérés comme un obstacle potentiel au développement et l’on croyait que nous n’avions aucun droit d’être là où nous avions toujours été.
Mais à ce moment-là, nos leaders comme Billy Diamond, Robert Kanatwat, Smally Petawabano, Philip Awashish, Ted Moses, Peter Gull, Jose Sam Atkins, Fred Blackned, Abel Kitchen, Bertie Wapachee, Edna Neeposh, Roderick Pachanos, Albert Diamond, Violet Pachanos, Ann-Marie Awashish et notre Jimmy Mianscum ont refusé d’accepter cette description de notre réalité. Ils ont refusé d’accepter que nous n’avions pas de droits et que nous pouvions être expulsés de nos terres traditionnelles par les forces qui voulaient exploiter notre territoire pour ses richesses potentielles. Nos leaders d’alors ont été guidés par nos Aînés – des Aînés dans chaque communauté qui comprenaient l’importance de maintenir notre rapport à la terre et qui avaient une vision de la façon dont nous pouvions partager la richesse de la terre avec les autres, comment nous pouvions coexister et comment nous pouvions prospérer.
Ce que nos leaders de l’époque ont reconnu, c’est que la situation qui revêtait l’allure d’une profonde tragédie, ce qu’elle était de toute évidence, pouvait aussi s’avérer l’occasion de changer les choses pour le meilleur. Ils ont vu la possibilité de faire reconnaître les droits autochtones, ils ont vu l’occasion de nous faire sortir de sous l’empire de la Loi sur les Indiens et ils ont vu la possibilité pour nous de nous unir et de créer une Nation autochtone forte et ils ont vu une occasion d’améliorer le niveau de vie dans nos communautés. Et c’est précisément ce que les 40 dernières années de l’histoire des Cris ont été.
Quand le moment est venu, au cours des années 70, pour notre peuple de se lever et de défendre nos droits en tant que Cris et Eenou/Eeyou Istchee, Sophie et moi avons quitté notre foyer confortable à Chibougamau et nous avons joint le Grand Conseil des Cris en 1977. Nous n’avions aucune idée de la destination où nos chemins nous mèneraient et nous n’avions aucune idée quant à notre réussite de mettre en œuvre la CBJNQ. Mais ce dont j’ai été témoin, ce sont des leaders qui se levaient tous les matins, quittant très souvent leurs familles demeurées à la maison afin de faire progresser le dossier des Cris.
J’ai aussi été témoin du nouveau leadership qui émergeait comme mes amis Matthew Coon Come, Walter Hughboy, George Wapachee, James Bobbish, Roméo Saganash, Rusty Cheezo, Bill Namagoose, John Kitchen, Matthew Mukash, Alan Happyjack, Kenneth Gilpin, Robert Weistche, Henry Mianscum, Reggie Mark, David Masty et la liste pourrait se prolonger.
Ce que notre Nation Crie a accompli depuis la signature de la CBJNQ est une révolution. Nous avons accompli ce qui, dans d’autres parties du monde, aurait exigé une lutte armée. Nous avons complètement retourné la situation. Nous avons réussi à sortir de la Loi des Indiens, et l’actuelle Entente sur la gouvernance représente une autre étape de ce processus. Si nous croyons que le « système du Chef-et-Conseil » est un outil du gouvernement pour nous contrôler, nous pouvons maintenant avoir le pouvoir de changer cela. Si nous croyons que notre système de démocratie peut bénéficier de plus d’éléments cris traditionnels, nous pouvons maintenant avoir le pouvoir d’y introduire précisément cela. Avec la présente Entente sur la gouvernance, le pouvoir est maintenant dans nos propres mains.
Nous déterminons maintenant ce qui se produit sur le territoire des Cris. Nous gérons nos propres institutions afin de fournir les services de santé et l’éducation grâce à notre Commission de la santé crie et notre Commission scolaire crie. Nous administrons nous-mêmes nos communautés sans l’interférence d’un gouvernement paternaliste. Nous entretenons des relations de nation à nation à la fois avec la province et le gouvernement fédéral. Et nous avons très nettement amélioré les conditions de vie dans nos communautés.
Ce sont toutes des choses dont les leaders autochtones nationaux ont discuté depuis des décennies, tout comme de ce qui devrait être présent pour les réserves partout au pays. Ce sont des choses qui étaient recommandées dans le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Et ce sont des choses qui sont décrites comme des aspirations et des espoirs dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Et nous ici dans Eeyou Istchee, nous les avons déjà toutes réalisées. Au cours des 40 dernières années, nous sommes demeurés centrés sur nos droits et nous nous sommes battus pour traduire la reconnaissance de nos droits en bénéfices pour nos communautés et notre peuple.
Si quelqu’un estime que l’Entente sur la gouvernance que nous considérons présentement n’est pas un immense pas en avant, je l’invite à passer un mois dans une réserve autochtone canadienne typique afin de voir à quoi ressemble la vie là-bas et comparer ce que nous avons, et ce que nous pourrions avoir de plus, avec les avis de faire bouillir l’eau, les infrastructures sanitaires médiocres, les budgets de fonctionnement annuels insignifiants, l’obligation d’obtenir des Affaires indiennes l’approbation pour tout, avec aucun contrôle sur ce qui se passe dans leurs territoires traditionnels, des taux de suicide des jeunes qui montent en flèche et aucun contrôle sur quoi que ce soit.
Quand je regarde en arrière les 40 dernières années de luttes des Cris et les ententes qui ont résulté de ce long combat, ce que je vois, c’est que… la chose vraiment remarquable, c’est que la Nation Crie a réussi, c’est que nous avons parcouru un long et très spécial cheminement vers la recréation de notre souveraineté originale.
Avec toutes nos ententes, y compris celle qui nous est présentement soumise pour approbation, nous sommes en train de faire quelque chose qui va montrer la voie dans l’histoire des peuples autochtones partout dans le monde. Ce que nous faisons, c’est de reconquérir ce qui a été perdu pendant plusieurs centaines d’années de colonisation et d’exploitation par les puissances européennes – nous recouvrons notre statut de nation avec ses propres lois, nous sommes en contrôle de ce qui se passe dans notre territoire traditionnel, nous avons nos propres institutions pour offrir les programmes et les services essentiels, nous allons rédiger notre propre Constitution crie, et nous avons fait tout cela tout en préservant notre culture, nos valeurs et notre langue.
Quand nos leaders d’il y a 40 ans ont signé la Convention de la Baie James et du Nord Québécois, ils ont parfois été qualifiés de « vendus » par d’autres groupes autochtones. On s’inquiétait de ce qu’en consentant au projet hydroélectrique décrit dans la CBJNQ, nous cédions trop. Pendant un certain temps, nous avons été des exclus parmi les organisations autochtones nationales. Même nos propres leaders, accablés par le poids des décisions à prendre quant au sort de nos générations futures, se demandaient parfois s’ils avaient pris la bonne décision. Ce doute prenait encore plus de force quand la CBJNQ n’était pas respectée ou n’était pas mise en application de façon appropriée tant par la province de Québec que par le gouvernement fédéral.
Mais malgré tout, nos leaders sont demeurés de vrais leaders. Ils ont maintenu leur regard centré sur la vision et sont demeurés confiants que notre peuple continuerait de les appuyer – uni et fort – pour concrétiser la noble vision sous-jacente à l’approche crie à l’égard de la CBJNQ. Ils sont demeurés de vrais leaders en ayant foi dans une vision et en ayant le courage et la force de rester fidèles à cette vision.
Toutes nos luttes au cours des 40 dernières années se sont avérées payantes. Alors que jadis nous avons été colonisés et opprimés, nous nous sommes maintenant décolonisés et nous sommes les auteurs de notre propre avenir. Nous ne sommes plus des victimes, mais plutôt, nous sommes de fiers bâtisseurs d’une nation autochtone. Ce que nous avons réalisé est un modèle dont les autres groupes pourront tirer des leçons, un modèle avec lequel travailler dans leurs propres réalités.
Il est maintenant temps pour notre peuple, et spécialement nos leaders au niveau local, de se rassembler pour continuer à nous faire aller de l’avant. Il est maintenant temps pour nous de saisir une autre occasion historique pour la Nation Crie d’Eeyou Istchee afin de faire progresser la cause des droits autochtones et la cause de l’édification de la nation. C’est le temps pour nos leaders d’être de vrais leaders.
Le véritable leadership n’est pas d’être contre quoi que ce soit. Le vrai leadership, c’est d’avoir une vision de ce qui pourrait être et de travailler à faire de cette vision une réalité. La vision crie est une vision noble et honorable et elle mérite nos meilleurs efforts pour qu’elle devienne réalité.
Détruire est beaucoup plus facile que construire. Le véritable leadership consiste à bâtir pour le futur tout en prenant soin, en même temps, les uns des autres.
Critiquer est plus facile que de tenter de comprendre. Le vrai leadership consiste à apprécier notre histoire et savoir qu’il est temps d’aller de l’avant avec la vision.
Le vrai leadership est une question de passion… c’est une affaire de compassion… de bon jugement… c’est d’avoir des principes éprouvés et des valeurs… c’est être humble et travailler d’une manière qui fasse jaillir le meilleur des autres… c’est d’avoir le courage de passer de la parole aux actes.
J’ai été choqué et tout à fait bouleversé d’apprendre que certains de nos Chefs et de nos Chefs adjoints locaux avaient sollicité des opinions sur la présente Entente sur la gouvernance auprès d’une firme juridique qui, dans le passé, avait travaillé activement contre les intérêts des Cris en représentant d’autres clients. Il s’agit d’une firme que nous, à Oujé-Bougoumou, avons congédiée il y a plusieurs années en raison de nombreux conflits d’intérêt dont elle ne nous avait pas fait part en pensant que nous ne nous en rendrions pas compte. C’est une firme qui représente d’autres groupes autochtones qui sont invités à signer des ententes qui entraînent comme effet la cession de droits importants. Cette firme juridique n’a aucune association historique avec la Nation Crie et ne possède aucune connaissance approfondie de notre histoire. Pour moi, cela n’a aucun sens. Voilà une firme qui donnera une opinion dont elle estime que les gens qui l’ont engagée veulent entendre, tout en favorisant en même temps ses propres intérêts opportunistes. Pour un, je suis très sceptique quant à ses conclusions.
Pour moi, la présente Entente sur la gouvernance est une nouvelle étape dans l’histoire très spéciale de la Nation Crie. C’est une nouvelle étape dans la réalisation de la noble vision de recréer notre souveraineté originale, et ce, dans un contexte contemporain. C’est une nouvelle étape dans le progrès des peuples autochtones à l’échelle mondiale. Et cela représente un retournement du sort de Philix Couchees qui serait celui où nous serions tous aujourd’hui n’eut été de la vision, de la détermination, du travail acharné et des luttes que nos leaders et nos partenaires qui nous ont écartés d’un tel avenir et nous ont engagés sur une voie très différente, plus saine et plus honorable.